Vous trouverez ci-dessous un appel à communications pour le colloque « Communisme » qui se déroulera à l’université de Rennes 1 les 30, 31 mai et le 1e juin 2017. Vous pouvez également le télécharger en format PDF ici: AAC_colloque_communisme
APPEL À COMMUNICATIONS: COLLOQUE « COMMUNISME »
UNIVERSITÉ DE RENNES 1
30, 31 MAI ET 1er JUIN 2017
ARGUMENTAIRE
Après une éclipse relativement longue, le communisme fait à nouveau l’objet d’une attention théorique propre qui permet de ne plus le réduire à une curiosité historique ou à une monstruosité politique. C’est à l’occasion de la crise économique de 2008, qu’a eu lieu ce regain d’intérêt qui s’est traduit par de nombreux colloques et publications d’importance, tels que les rencontres internationales organisées par A. Badiou et S. Zizek entre 2009 et 2011, le 48e numéro d’Actuel Marx consacré à renouveau du communisme et Commun, l’ouvrage de P. Dardot et C. Laval. Ces diverses initiatives ont su réimposer au cœur du débat théorique un concept de communisme qui trop longtemps, au mépris de toute probité intellectuelle, a été enfermé dans la problématique du totalitarisme qui prétendait jusque là en épuiser le sens (Traverso, 2001).
Pourquoi s’intéresser aujourd’hui au communisme ? À l’heure où l’ordre capitaliste semble s’enraciner plus profondément que jamais, nous pensons que ce qui a motivé toutes ces entreprises que nous entendons prolonger est la conviction, pleinement (ré)assumée depuis 2008, que s’il convient de réinvestir l’idée de communisme, c’est « dans la mesure où le vocable ‘‘démocratie’’ ne peut […] nommer d’une part une rupture avec le monde du capital suffisamment conséquente pour qu’elle soit irréversible, d’autre part une affirmation de ce que peuvent être les relations entre les êtres qui ne se réduise pas à l’amélioration de leur sort actuel. L’affirmation d’un horizon qui correspondrait à une perception claire de ce que serait un monde désencombré du règne du capital » (Aspe, 2014).
Il nous semble que les précédents travaux doivent être prolongés par une réflexion historique sur le communisme dans la mesure où le mot est aujourd’hui chargé de la lourde mémoire du XXe siècle : les trajectoires et errances des divers pays « communistes » épuisent-elles le sens du communisme, comme l’ont affirmé les critiques antitotalitaires, ou bien l’idée excède-t-elle sa traduction effective dans des formes qui l’ont trahie ? Mais peut-être faut-il s’affranchir de cette alternative qui doit trop aux termes d’un débat imposé par les contempteurs de l’histoire du communisme. Ne peut-on alors considérer que des pans entiers de ces trajectoires ont été authentiquement positifs et que leur mémoire mérite d’être réactivée aujourd’hui pour mieux apprécier à la fois ce qu’a été, ce qu’est et ce que peut être le communisme ? Il faudrait alors non seulement opérer un retour critique sans concession sur un passé sombre tout en se permettant de considérer que les expériences soviétiques, chinoises, yougoslaves, etc. ont pu être le lieu d’authentiques formes, bien que trop marginales et vite éliminées, de liberté et d’égalité. Par ailleurs, si l’on consent à élargir le terme de communisme au-delà des seuls États qui en ont revendiqué le nom, ne peut-on reconnaître, dans certaines des conquêtes et héritages du mouvement ouvrier occidental, les noyaux actuellement encore effectifs, bien que menacés, d’un communisme futur, comme le pense B. Friot par exemple au sujet de la sécurité sociale française ?
Le débat pourrait ainsi s’ouvrir sur la question, peu explorée dans les précédents travaux, de la forme d’organisation économique et sociale que pourrait revêtir le communisme. C’est sans doute dans ce domaine que le poids du contexte politique, social et institutionnel a pesé le plus fort. Les études sur cette question, alors même qu’elles constituaient un champ entier de recherches (Lavigne, 1978), ont totalement disparu du monde universitaire,contribuant à naturaliser l’économie de marché et à frapper d’inintelligibilité les expériences passées ainsi que de potentielles alternatives. Là encore, il s’agit donc de faire la démonstration de la consistance du projet communiste, tout en tirant les leçons des dynamiques de bureaucratisation, inévitables lorsque l’on refuse de poser la question politique des instance institutionnelles de la planification. Quoique par des voies diverses, la plupart des travaux prospectifs retrouvent ces interrogations. Si la proposition du salaire par B. Friot a quelque succès et mérite d’être examinée, le débat s’est également porté sur la question des communs, ces derniers ne pouvant être réduits à la propriété étatique (Dardot et Laval, 2014 ; Negri et Hardt, 2014). Il serait bon également de revenir sur l’un des points aveugles de ces travaux, à savoir la question des modalités non pas simplement de la répartition des biens mais également de la division du travail et de l’organisation de la production, notamment dans un univers économique de plus en plus mondialisé.
Cependant, pour que le communisme ait une signification répondant aux enjeux actuels, il ne peut plus être pensé dans les mêmes termes qu’autrefois. Avec le marxisme, qui en marqua durablement la signification, il avait pris une coloration essentiellement économique : très schématiquement, il se définissait comme appropriation collective des moyens de production, partage égal des richesses et du travail. Le communisme se comprenait alors avant tout comme l’issue du conflit qui oppose capital et travail. Le sujet de l’histoire se laissait ainsi ramener à la figure ouvrière. Or, la période actuelle se caractérise par une démultiplication et une fragmentation des fronts de luttes (féminismes, décolonialismes, etc.) et des sujets des luttes (femmes, LGBT, racisés, etc.) concomitantes de la mise à jour de sources multiples d’assujettissement liées, mais irréductibles à l’exploitation capitaliste : le patriarcat, le (néo)colonialisme, la question LGBT, ainsi que les inégalités environnementales et le désastre écologique. Le communisme peut-il, dans ces conditions, conserver le même sens ? Doit-il être encore adossé, en dernière analyse, à une critique de l’économie politique, ou bien doit-on relativiser la priorité de celle-ci ? La tentation principale serait de vouloir subsumer toutes les luttes sous le communisme comme Idéal global ou d’affirmer la nécessité d’une doctrine unifiée comme le fut autrefois le marxisme, mais ne serait-ce pas au prix d’un universalisme abstrait et d’une unité factice qui en minerait la cohérence et par là les promesses ? Bref, la question est de savoir qui peut être communiste aujourd’hui, s’il y un ou des communismes et, dans ce dernier cas, comment les articuler sans subordination fonctionnelle à une dernière instance de quelque ordre que ce soit.
Peut-être une piste pourrait-elle être de suivre l’idée d’une culture communiste partagée ? Ne faudrait-il pas, sur ce point, suivre les indications gramsciennes et travailler à penser les conditions de constitution d’éléments symboliques capables de mobiliser et d’unir le champ fragmenté des luttes ? Mais ceci pose immédiatement le problème du statut des productions culturelles en régime capitalo-démocratique : comment des productions culturelles réduites à de pures marchandises peuvent-elles encore seulement receler des potentiels d’émancipation individuelle et collective ? Comment le domaine de la production culturelle, qui se caractérise par une consensualisation profonde (Brossat, 2008), pourrait-il donner lieu à des créations non seulement susceptibles de subvertir l’ordre établi mais aussi se montrer à même de tisser quelque chose comme une forme de vie collective ? D’autre part, se pose également la question de l’héritage du patrimoine culturel de la société bourgeoise et du rapport politique aux avant-gardes (Palmier, 1975) qui ont voulu être, au XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, pour certaines, les annonciatrices du monde nouveau alors même qu’elles reposaient très souvent sur les franges marginales de la société bourgeoise, très éloignées du sujet traditionnel de la politique communiste, le prolétariat.
Il faut également aborder l’inévitable problème pratique de la stratégie et des modes d’organisation de la politique qui a, depuis toujours, animé la tradition communiste. Si le modèle léniniste du parti mobilisant de l’extérieur la classe ouvrière a pu être tenu poursupérieur au « spontanéisme » anarchiste, la dynamique bureaucratique des Partis-États a bien évidemment remis en cause cette idée. Par ailleurs, le phénomène plus général de longue désaffection de la politique partisane et parlementaire qui atteint les partis et la « politique » professionnelle en Occident, malgré des sursauts contemporains (Angleterre, États-Unis, etc.) rend problématique le recours exclusif à cette forme d’organisation. Les divers « mouvements des places », des Indignados de 2011 à Nuit Debout en 2016, ont privilégié la pure horizontalité et un consensualisme poussé, mais ont vite abouti à une incapacité d’agir. Se pose également la question de la violence. Si elle était expressément revendiquée comme moyen nécessaire par les révolutionnaires classiques, la pacification factice du monde contemporain frappe de scandale ne serait-ce que le fait d’énoncer la nécessité de la violence politique, alors même que cette dernière se manifeste au quotidien malgré tous les efforts réalisés en vue de la masquer. La dimension de rupture portée par le projet communiste le rend inséparable d’une certaine forme de violence, non qu’il s’agisse d’introduire du conflit là où régnerait un ordre démocratique apaisé, mais au contraire d’opposer à une violence structurelle et perpétuelle la lutte ponctuelle et consciente.
Ces nombreux problèmes appellent enfin une exploration de la notion de communisme à un niveau philosophique plus fondamental. Deux questions liées nous semblent importantes à cet égard, celle du mode de subjectivation charrié par l’agir communiste et celle de la nature de la communauté qu’il engage. La première est celle de la politique communiste. Traditionnellement, l’agir communiste a été associé à l’activité révolutionnaire destinée à précipiter la chute du capitalisme pour faire advenir une société d’associés libres et égaux. Doit-on considérer que le communisme est une antipolitique qui fantasmerait une impossible fin du politique dans une société sans divisions (Lefort) ? Mais ne doit-on pas en réalité retourner l’objection contre la démocratie libérale qu’affectionnent tant les critiques du totalitarisme ? N’a-t-elle pas fonctionné comme un dispositif de pacification des masses par la réduction du politique à une logique de la discussion et du consensus all inclusive, niant par là les asymétries sociales ? N’est-on pas alors fondé à considérer que c’est le communisme qui porte en lui, bien plus que la démocratie, une conflictualité radicale ? En ce sens, il ne relèverait en rien d’un état final, mais d’un mouvement infini de lutte « pour que la société [soit] réorganisée de fond en comble » (Engels). Se pose alors le problème de ce que doit réaliser le communisme s’il est compris comme un mouvement conflictuel sans fin. La seconde question est de portée anthropologique : il s’agit de savoir quel sujet individuel et collectif porte la politique communiste, qui participe au lien communautaire qu’elle tisse. Par exemple, à l’heure du Capitalocène (Jason, W. Moore, 2015), il semble difficile de limiter la communauté politique au seul être humain : l’exploitation combinée de l’homme et de son milieu et les catastrophes qu’elle génère ont eu pour effet de révéler que la nature et la Terre ne sont pas une extériorité inerte et manipulable à souhait, mais un ensemble de milieux vivants et singuliers avec lesquels nous sommes dans un rapport de co-constitution et dont le destin est donc intrinsèquement lié au nôtre. Plus généralement, c’est l’anthropologie libérale qui est à revoir, dans laquelle l’individu isolé et évanescent se rapporte à tout ce qui lui fait face sous la modalité d’une propriété potentielle (ainsi des différentes parties de son propre corps dans les évolutions les plus récentes).
Ces multiples questions – qui ne sauraient épuiser le sujet – obéissent à un souci commun : la réflexion que nous voulons engager sur le communisme ne peut se limiter, comme l’a trop souvent fait la pensée critique de ces dernières années, à une déploration des dérives du monde. Elle doit bien plutôt penser le communisme positivement, prioritairement sous l’angle de ce qu’il peut être.Seront privilégiées les propositions de communication qui aborderont les perspectives suivantes :
– Un axe historique, revenant par exemple sur les trajectoires et les errances des
communismes « réels » du XXème siècle.
– Un axe intersectionnel, s’interrogeant sur les relations du communisme au féminisme, à
l’écologie, à la postcolonialité, etc.
– Un axe économique et social, s’interrogeant sur la possibilité et la validité du communisme
comme mode de répartition des ressources, et sur sa mise en œuvre concrète.
– Un axe philosophique, où il pourra être question du concept de communisme, de sa
signification politique et anthropologique.
– Un axe culturel, mettant en jeu l’impact du communisme sur la production artistique ou
scientifique, sur les modes de vie, etc.
– Un axe stratégique, ouvrant la discussion sur les voies empruntées par les acteurs du
communisme et les organisations qui en portent le projet.
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
BADIOU, A., L’hypothèse communiste, Lignes, 2009.
BADIOU, A. & ZIZEK, S., L’idée de communisme, vol. 1 & 2, Lignes, 2010.
BALIBAR, E. « Remarques de circonstance sur le communisme », Actuel Marx, 2010/2 (n° 48), p. 33-45.
COLLECTIF POUR L’INTERVENTION, Communisme : un manifeste, Nous, 2012.
DARDOT, P. et LAVAL, C., Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, 2014.
ENGELS, F. & MARX, K., Manifeste du parti communiste.
FRIOT, B., Émanciper le travail, La Dispute, 2015.
HARDT, M. & NEGRI, T., Commonwealth, Folio-Gallimard, 2014.
LAVIGNE M. (sous la direction de), Économie politique de la planification en système
socialiste, Economica, 1978.
MARTELLI, R., Communistes, La Ville Brûle, 2009.
MARTELLI R., Pour en finir avec le totalitarisme, La Ville Brûle, 2012.
MOORE, Jason W., Capitalism in the Web of Life, Verso, 2015.
MOUFFE, C., « Communisme ou démocratie radicale ? », Actuel Marx, 2010/2 (n° 48), p. 83-88.
PALMIER, J.-M., Lénine, l’art et la révolution, Payot, 1975.
RANCIÈRE, J., « Communistes sans communisme ? », in BADIOU, A. & ZIZEK, S., L’idée de communisme, vol. 1, Lignes, 2010.
TRAVERSO, E. (dir.), « De l’anticommunisme, l’histoire du XXe siècle relue par Nolte, Furet et Courtois », L’homme et la société, L’Harmattan, 2001/2 n° 140-141, p. 169-174.
Les propositions d’interventions (3000 signes maximum) sont à envoyer avant le 12 février 2017 à l’adresse suivante : colloque_communisme@vindicte.com Les réponses seront notifiées au plus tard le 12 mars 2017.
COMITÉ D’ORGANISATION
Antoine CHOPOT (Doctorant, Université de Rennes 1) : antoine.chopot@yahoo.fr
Guillaume FONDU (Doctorant, Université de Rennes 1) : guillaume.fondu@yahoo.fr
Ali KEBIR (Doctorant, Université de Rennes 1) : ali.k@mailoo.org
Gabriel MAHÉO (Docteur, chercheur associé Université de Rennes 1) : gabmaheo@yahoo.fr
Luca PALTRINIERI (MCF, Université de Rennes 1) : l.platrinieri@gmail.com